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Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
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Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
22 octobre 2011

Le rugby ou la rationalisation du sport

220px-Webb_Ellis_Cup_2011_RWCDemain, l'équipe de France de rugby jouera la finale de la 7e coupe du monde contre les célèbres All Blacks dans le stade "mythique" d'Auckland : l'Eden Park, un nom si chargé de symbole qu'il a été donné d'ailleurs à une marque de vêtements créée par d'anciens rugbymen à la fin des années 1980. Cette finale de 2011 sera-t-elle le remake de la première finale de 1987 jouée dans le même lieu entre les deux mêmes équipes (victoire 29 à 9 des Blacks contre les Bleus) ? Les Français soulèveront-ils pour la première fois  de leur histoire la coupe Webb Ellis ? Nous le saurons bientôt.

Dans un très intéressant livre de 2010 intitulé La sociologie sur le vif, que je qualifierais volontiers d'invitation à la sociologie (et conforme à cet égard aux objectifs de ce blog), le sociologue Cyril Lemieux consacrait une courte analyse à la popularité du rugby, un sport devenu professionnel en 1995 seulement, mais marqué néanmoins depuis par le développement sensible de sa mise en spectacle. Il concluait son propos ainsi :

"En définitive, on pourrait aller jusqu'à dire que le rugby est un sport de moins en moins populaire, si l'on entend par "populaire" un sport que tout le monde peut pratiquer. Il est une activité sportive de plus en plus professionnelle, c'est-à-dire de plus en plus rationalisée et pilotée par les logiques de préparation scientifique et biomédicale, du marketing et de la communication de masse. Un sport dont le haut niveau est donc de plus en plus inaccessible au commun des mortels en tant que pratique, au fur et à mesure qu'il devient de plus en plus accessible en tant que spectacle" (p. 259).

Voilà une invention qui ne contredira pas les propos de Cyril Lemieux : le simulateur de mêlée. Un intéressant reportage posté au début du mois de septembre sur l'excellent site d'Universcience.tv, et que l'on trouvera ci-dessous, présente l'appareil, l'utilisation qui en est faite par le centre national du rugby français. On y apprend que le simulateur, très perfectionné, a fait l'objet d'un dépôt de brevet par la fédération française de rugby et l'industriel Thalès. Sont invités à s'exprimer un biomécanicien, un ingénieur, un spécialiste des neurosciences. Certes le simulateur est, je cite, "pensé comme un outil de recherche et de prévention" (les applications extra-sportives sont bien évoquées à la fin du reportage. Pour ce qui est de la prévention, il s'agit des blessures cervicales). Bien évidemment, il est aussi un formidable "outil d'entraînement" permettant aux joueurs, jeunes en devenir, talents déjà confirmés, de se perfectionner et de travailler. C'est alors la rationalisation poussée des techniques d'entraînement propres au sport de haut niveau d'aujourd'hui qui apparaît à l'écran.


Rugby : une mêlée plus vraie que nature

Source : Universcience.tv "La WebTV scientifique hebdo" (newsletter sur inscription gratuite possible)

Sur le sujet de la professionnalisation du rugby, sa spectacularisation et sa réception par le public, il faut lire l'article d'Andy Smith, politologue à la FNSP, paru dans la revue Politix en 2000 intitulé : "Comment le néolibéralisme gagne sur le territoire ? A propos de quelques transformations récentes du rugby". L'article est téléchargeable au format PDF en cliquant ici.

Plus largement, plusieurs chercheurs en sciences sociales ont consacré des travaux au rugby. Quelles questions se sont-ils posés ? Celles de l'implantation et de la diffusion spatiales d'abord. Elles concernent aussi bien l'historien, le géographe, le sociologue que l'anthropologue : pourquoi le rugby s'est-il ancré dans le Sud-Ouest ? Comment ? Via quels acteurs ? Aujourd'hui, que fait la mondialisation au rugby, un sport historiquement si territorialisé ? Classiquement en sociologie, science des écarts, la distribution sociale des goûts sportifs compose une part importante des questionnements : qui (socialement) sont ceux qui pratiquent le rugby et l'apprécient ? Le choix du rugby n'est-il pas devenu une stratégie parentale d'évitement face au football et à ses pratiquants ? La question de ses fonctions est également abordée, à travers l'analyse des clubs, de la sociabilité autour du rugby du dimanche, de son inscription dans une culture locale. La question des rapports sociaux de sexe est fort intéressante : dans quelle mesure le rugby, "fief de la virilité", participe-t-il de la construction du masculin et du féminin ? De quelle masculinité ? De quelle féminité ? Les questions de sa spectacularisation, du rôle de la télévision, de son suivi par les "fans" en sont d'autres. J'en oublie...

Voici une liste non exhaustive de travaux. Classés par ordre chronologique, ils se posent comme une belle entrée en matière :

- Christian Pociello, Le rugby ou la guerre des styles, Paris, Métailié, 1983.

- Sébastien Darbon, Rugby, mode de vie. Ethnographie d'un club Saint-Vincent-de-Tyrosse, Paris, Jean-Michel Place, 1995.

- Sébastien Darbon (dir.), Rugby d'ici. Une manière d'être au monde, Paris, éditions Autrement, 1999.

- Anne Saouter, Etre rugby. Jeux du masculin et du féminin, Paris, éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2000 (Anne Saouter a écrit également un article intitulé "La maman et la putain" dans un numéro de la revue Terrain paru en 1995)

- Andy Smith, La passion du sport. Le football, le rugby et les appartenances en Europe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.

- Le dictionnaire culturel du sport paru l'an passé (2010) chez Armand Colin consacre plusieurs entrées au rugby.

Bonne lecture, bon match !

PocielloDarbon 1995Darbon 1999SaouterSmithDictionnaire

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