Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
2 octobre 2012

"2012-1993 et vice versa". De l'affaire des paris en handball à l'affaire VA-OM en football. Quelques enseignements

A l’heure où les dirigeants du handball français sont dans la tourmente, ceux du club montpelliérain en tête (lire un récapitulatif des faits sur le site du Nouvel Obs), et avant de proposer des premières clés d’interprétation des événements (dans un billet à venir), il m’a semblé d’abord intéressant de brièvement faire (un parallèle avec)* un détour par l’une des plus grandes affaires du sport français et la manière dont elle a été reçue et interprétée par les amateurs de football. Une démarche qui peut permettre de remettre en perspective les diverses réactions (actuelles et à venir) autour des paris sportifs suspects dans le handball.

Karabatic escorté par la policecrédit photo : Régis Duvignau/Reuters

Véritable feuilleton médiatique de l’été 1993, l’affaire VA-OM éclate au moment même où le club marseillais est sacré sur la scène européenne. Comme Montpellier en handball aujourd’hui, l’OM est, à l’époque, l’une des meilleures équipes continentales. Ses succès génèrent un fort engouement en France, les joueurs et dirigeants disposent d’un capital sympathie important et le club occupe le devant de la scène médiatique. Situation que connaissent plus largement le handball français et son équipe nationale depuis plusieurs années… A la une du numéro consécutif à la consécration du 26 mai à Munich, Paris Match écrit « La France folle de l’OM ». Mais la réussite du club est immédiatement avortée et entachée. En quelques jours, le club marseillais passe de la gloire à l’opprobre. La prospérité sportive lentement construite depuis 1986 (et la reprise en main du club par Bernard Tapie) se voit en quelques mois réduite à néant. Par ailleurs, comme pour le cas de Montpellier en handball, le PSG est en toile de fond : il est le grand rival de l’OM au début des années 1990 (et sera champion de France dès 1994, un an après le début de l’affaire) ; le PSG handball est présenté comme le futur club majeur du championnat, et, le symbole est fort, les arrestations de la police judiciaire ont eu lieu après la large défaite de l’équipe montpelliéraine dans la salle parisienne. Comme un passage de témoin ? Dernier détail amusant de l’histoire, Maître Eric Dupond-Moretti, chargé de la défense de Nikola Karabatic (il a déclaré hier que son client « a parié, mais n’a pas triché » - une stratégie tout à fait cohérente d’un point de vue juridique) était, lors du procès de l’affaire VA-OM, l’avocat de Jacques Glassmann, le joueur valenciennois qui a dénoncé la corruption et par qui tout a commencé…

Rappelons d’abord les faits. Le 20 mai 1993, à une semaine de la finale de la coupe d’Europe des clubs champions contre l’AC Milan, l’OM affronte, en championnat de France, la modeste équipe de Valenciennes et gagne le match un but à zéro. À quelques journées de la fin du championnat, la victoire scelle quasiment le destin des deux équipes : l’OM est en passe de gagner son cinquième titre de champion de France d’affilée, quand Valenciennes s’apprête à descendre en deuxième division. La rencontre ainsi négociée, sans avertissements (qui auraient privé le joueur fautif de la finale) ni blessures du côté marseillais, permet de préparer sereinement le match européen. À la fin de la rencontre, Valenciennes pose officiellement réclamation après les déclarations de l’un de ses joueurs, Jacques Glassmann, qui révèle qu’un joueur marseillais lui aurait proposé 250 000 francs pour qu’il laisse « filer le match ». La plus grande affaire de corruption du football français débute.
Début juin, la Ligue nationale de football, l’instance dirigeante du football professionnel français présidée par Noël Le Graët, saisit la justice. Le 9 juin, le procureur de la République de Valenciennes, Eric de Montgolfier, ouvre une information judiciaire pour « corruption active et passive ». À la fin du même mois, le 24 juin, les policiers en charge de l’enquête découvrent une enveloppe contenant une somme de 250 000 francs enterrée dans le jardin de la maison de famille de Christophe Robert, un joueur de l’équipe de Valenciennes, suspecté, dès lors, d’avoir accepté de « lever le pied » lors du match en échange de l’argent. Deux jours plus tard, ce dernier, ainsi que Jean-Jacques Eydelie, le joueur marseillais qui a « proposé le marché » (avec Jean-Pierre Bernès, directeur sportif de l’OM), sont mis en examen, l’un pour corruption passive, l’autre pour corruption active. Le second est écroué. Jorge Burruchaga, un attaquant de l’équipe de Valenciennes, se voit, à son tour, mis en examen pour corruption passive quelques jours plus tard. (Vidéo ina.)

L’affaire rebondit au mois de juillet après les révélations de l’entraîneur de Valenciennes, Boro Primorac, accusant Bernard Tapie de lui avoir proposé de « porter le chapeau » en le faisant venir dans son bureau parisien le 17 juin. Pour se défendre de cette accusation, Bernard Tapie sollicite Jacques Mellick, député-maire de Béthune. Ce dernier témoigne, le 31 juillet 1993, qu’il était lui-même dans les locaux parisiens du président de l’OM à l’heure où Boro Primorac déclare avoir été reçu par le président de l’OM. Le directeur sportif du club marseillais, Jean-Pierre Bernès, est incarcéré. Lors de la traditionnelle allocution télévisée du 14 juillet, le président de la République, François Mitterrand, apporte clairement son soutien à Bernard Tapie, alors ministre de la ville depuis 1992 sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy. Le président de l’OM démissionne de ses fonctions à l’automne. (Vidéo ina)

Le 10 février 1994, Bernard Tapie est mis en examen pour complicité de corruption et subordination de témoins. Quelques mois plus tard, il est interdit de toute fonction officielle dans le football pendant deux ans. Le procès se déroule en mars 1995. Jean-Pierre Bernès, désormais ancien directeur sportif de l’OM, avoue la tentative de corruption sur l’ordre de Bernard Tapie. L’attachée parlementaire de Jacques Mellick déclare que celui-ci lui a demandé de faire un faux témoignage pour attester qu’il était bien dans le bureau de Bernard Tapie le 17 juin 1993.

Procès

Tapie à sa sortie du tribunal

Le jugement, rendu le 15 mai 1995, prononce, entre autres, une peine de deux ans d’emprisonnement dont une année ferme à l’encontre de Bernard Tapie, qui fait appel, deux années de prison avec sursis et 15 000 francs d’amende contre Jean-Pierre Bernès, un an de prison avec sursis et 10 000 francs d’amende contre Jean-Jacques Eydelie et six mois avec sursis contre Christophe Robert et Jorge Burruchaga. (Vidéo ina)

Quelques semaines après le jugement, Bernard Tapie reconnaît finalement avoir rencontré Boro Primorac, l’entraîneur de Valenciennes. Le 28 novembre 1995, Bernard Tapie est condamné par la cour d’appel de Douai à deux ans de prison, dont huit mois ferme, trois ans d’inéligibilité et 20 000 francs d’amende. L’ancien président de l’OM est incarcéré le 3 février 1997 à la prison de la Santé à Paris. Il est libéré le 25 juillet 1997. Jacques Mellick est condamné à un an de prison, cinq ans d’inéligibilité et 30 000 francs d’amende pour faux témoignage.

L’OM, champion d’Europe en titre, n’alimente pas seulement les chroniques judiciaires, mais devient aussi le « club martyr » du football français. En septembre 1993, l’OM est destitué par la Fédération française de football (FFF) du titre de champion de France. La Ligue nationale de football (aujourd’hui dénommée Ligue de football professionnel) rétrograde l’OM en seconde division à l’issue de la saison 1993-1994 alors que le club termine vice-champion de France... derrière le Paris-Saint-Germain. Mais l’affaire dépasse largement la scène nationale. Le club marseillais se voit « humilié » sur le plan européen. En effet, l’OM est interdit par la Fédération internationale de football association (FIFA) de jouer la coupe intercontinentale (sorte de finale servant à désigner le très honorifique « champion du monde des clubs », opposant chaque année l’équipe championne d’Europe au champion d’Amérique du Sud), et se voit exclu de la coupe d’Europe par l’Union européenne de football association (UEFA), l’instance dirigeant le football professionnel en Europe. En 1994, la direction du club est profondément renouvelée. En 1995, le club connaît le dépôt de bilan et doit en conséquence demeurer une saison supplémentaire en deuxième division (après deux années de « purgatoire », l’OM remonte dans l’élite du football national en 1996).

MarionnettesLes rapports subjectifs à l’affaire : du côté des interprétations

À Marseille, cette affaire, interprétée comme un « complot » ourdi par la main de « Parisiens jaloux », aiguise une sensibilité à fleur de peau et provoque un vaste mouvement de compassion. À travers l’OM, ce sont la ville et les Marseillais qui sont une nouvelle fois « attaqués ». Pour ces derniers, « l’OM et son président sont les héros méritants, victimes d’une injustice : la ville pauvre et malheureuse est accablée par les riches et les puissants » (Bromberger, 1995, p. 364). Des manifestations de rue sont organisées à l’appel des associations de supporters. On crie au « scandale » et à la « manipulation ». Un vif ressentiment se porte particulièrement sur les responsables des instances dirigeantes du football français, la Ligue nationale de football et la FFF (dont les sièges se situent à Paris), et par leur entremise contre la capitale perçue comme le lieu où s’est tramé ce « coup monté ». Des slogans hostiles aux « Parisiens » sont lancés, les supporters crient : « Contre les salauds, l’OM vaincra ! ». En novembre 1993, après l’élimination de l’équipe de France par la Bulgarie dans la qualification pour la coupe du monde organisée aux États-Unis, les supporters marseillais brandissent une banderole hostile à la FFF : « La France… Pas d’USA »…

Si, à Marseille, l’affaire VA-OM, ses conséquences judiciaires et sportives provoquèrent une importante émotion, l’exclusion de l’OM de la coupe d’Europe, décidée par l’UEFA, suscita, en France, un mouvement de compassion général. Face aux accusations de corruption portées contre le club, ses dirigeants et quelques-uns des joueurs, de très nombreux amateurs de football sont d’abord restés incrédules. C’est que l’affaire VA-OM est appréhendée comme une « intrigue » et nombreux sont ceux qui souscrivent à une lecture paranoïaque de cet événement.

Pour celles et ceux qui se sont attachés à l’OM durant sa période de gloire sportive, le club marseillais est érigé en bouc émissaire d’un système généralisé. Qui sont ceux qui se voient soupçonnés d’avoir fomenté, dans le secret, une conjuration contre l’OM ? Accusés d’avoir « craché dans la soupe », les médias nationaux sont particulièrement montrés du doigt. Plus encore que le champ journalistique, ce sont les instances dirigeantes du football français, la LFP et la FFF, dont les sièges se situent à Paris, le lieu symbolique du pouvoir, qui sont particulièrement visées. Si de nombreuses personnes ont pu vivre l’affaire VA-OM comme une entreprise d’acharnement organisée en haut lieu contre l’OM, la trajectoire de Bernard Tapie a (une fois encore !) personnifiée la destinée du club. Bernard Tapie, modèle de réussite populaire en porte-à-faux avec « l’establishment », aurait été puni d’avoir cherché à se faire une place dans un « système » fait pour les puissants.

Que faut-il retenir ici des interprétations rapidement évoquées ici de l’affaire VA-OM ? Les croyances investies comportent une dimension normative certaine : les individus qui réagissent sur les événements disent le bien et le mal. Ils expriment en outre le « nous » et le « eux ». On comprendra ainsi que ces croyances comportent également une dimension identitaire particulièrement importante.

En effet, la période qui voit éclater au grand jour l’affaire VA-OM, puis celle correspondant aux conséquences sportives et judiciaires, a été un moment crucial dans l’adhésion identitaire à l’OM pour de très nombreuses personnes en France. Loin de remettre en cause le parti pris pour l’équipe méditerranéenne, l’affaire a provoqué une cristallisation du sentiment identificatoire, en ce sens que cet épisode agité est venu renforcer, de manière très importante dans certains cas, le goût déjà constitué pour le club phocéen. À un sentiment d’appartenance existant depuis plus ou moins longtemps succèdent alors des prises de parti très tranchées. Creusant une tranchée entre deux camps, les « anti » et les « pro-OM », les révélations de corruption ont généré de nombreux discours « anti-marseillais ». Des blagues circulant dans le milieu des passionnés de football tournent alors en dérision les déboires du club marseillais, tantôt sur un mode parodique, tantôt selon un registre plus cruel. Pour les partisans des clubs adverses notamment, l’OM apparaît depuis comme le symbole de la versatilité, des magouilles financières et des voyous, régulièrement accusé d’acheter les matchs. Ainsi, par un effet d’opposition et de contraste, le capital de sympathie, né chez de nombreuses personnes lors de l’époque glorieuse de l’équipe, a été transformé en empathie pendant cette période sombre de l’histoire du club marseillais, le sentiment d’appartenance à une même communauté de valeurs et de représentations sociales (être du côté de l’opprimé contre le système) se durcissant dans l’affrontement « avec le reste du monde ».

Pour revenir au handball, à Montpellier, à Karabatic et aux soupçons de paris sportifs truqués, il ne sera pas inintéressant d’observer les discours qui seront produits autour de cette nouvelle affaire qui ébranle le sport français et qui ne sera pas sans conséquences. Un autre billet sera prochainement consacré à ces événements.

PS : je ne l'ai pas abordée ici, mais il faudrait ajouter une autre forme typique de réactions aux affaires sportives, celle qui consiste à s'offusquer de la place prise par le sport dans les médias, de nombreuses personnes présentant alors les affaires sportives comme un sujet bien commode pour ne pas parler d'autre chose, et notamment des sujets plus sérieux et graves. Nul doute que l'argument trouvera un fort écho (il suffit déjà de lire les réactions de certains lecteurs indignés aux articles mis en ligne sur les sites de presse), en ces temps de grave crise économique et sociale, un autre élément de contexte qui rapproche d'ailleurs la période actuelle de celle de 1993, tout aussi difficile.

* Je raye cette formulation,visiblement source de confusion chez certains lecteurs.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Newsletter
35 abonnés
Publicité