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Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
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20 novembre 2014

"OMGate". Le football à l'épreuve de la justice

L'Olympique de Marseille fait depuis quelques jours la Une des faits divers pour des soupçons de malversations dans le cadre de transferts (dont celui de l'attaquant Andre-Pierre Gignac). Des dirigeants ou ex-dirigeants ont été placés en garde à vue : Vincent Labrune, Jean-Claude Dassier et Pape Diouf notamment. D'autres personnes sont déjà ou seront également entendues prochainement par la justice. Cet épisode s'inscrit en réalité dans le cadre d'une enquête ouverte depuis plusieurs années (2011). Pilotée par les juges Thierry Azéma et Christophe Perruaux, l'information judiciaire "contre X des chefs d'extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs" faisait suite à une affaire de racket liée au milieu de la nuit à Aix-en-Provence et les écoutes policières avaient amené les enquêteurs à s'intéresser de très près à un agent de joueurs lié à José Anigo et à l'existence de possibles rétrocommissions sur des transferts de joueurs de l'OM. Des perquisitions avaient ainsi été effectuées au siège du club en janvier 2013 puis à la Préfecture des Bouches-du-Rhône à l'été de la même année. 

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Pape Diouf, qui fut agent de joueurs avant d'être à la tête du club marseillais, a pris la parole très rapidement après la fin de sa garde à vue (convoquant une conférence de presse). On peut lire aussi une interview mise en ligne sur le site Internet Le Monde.fr aujourd'hui. Si on veut bien le croire lorsqu'il déclare que "pas le dixième d'un reproche lui a été fait", on a du mal en revanche à entendre ceci : "La pratique des rétrocommissions a vaguement été évoquée pendant la garde à vue. Que cela existe dans le football, c'est possible, j'en ai entendu parler, mais une chose est sûre : je ne suis pas suffisamment intelligent pour savoir comment cela se faisait ! Tout ce que j'ai fait pendant mes années à la présidence de l'OM, c'était avec des papiers sur les clubs acheteurs et vendeurs, les agents, les joueurs". Franchement...

Pour savoir comment les rétrocommissions fonctionnent, pas la peine de remonter très loin dans le temps. Suivre de près l'affaire dite "des comptes de l'OM" lui aurait permis d'enrichir sa culture générale. Remettons donc en perspective ce qui se passe en ce moment à l'OM en rappelant quelques enseignements tirés de cet épisode de la vie mouvementée du club.

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Qu'est-ce que "l'affaire des comptes de l'OM" ? Elle porte sur d’importants détournements d’argent relatif à plusieurs transferts de joueurs entre 1997 et 1999. Tout débute en juin 1997 avec l’arrivée de Laurent Blanc, alors joueur au poste de défenseur central, qui inaugure un système de surévaluation des prix des transactions visant à faire bénéficier les joueurs, certains personnages du club, dont l’entraîneur Rolland Courbis, ou des intermédiaires (des agents de joueurs, notamment) de rétrocessions de commissions. Le club marseillais aurait alors majoré artificiellement la transaction de 500 000 dollars, somme qui aurait été ensuite versée au joueur, par l’intermédiaire du FC Barcelone, le club « vendeur », sous forme de prime occulte. En contrepartie, l’OM aurait minoré le salaire du joueur et par conséquent économisé deux millions de francs de charges sociales. Les montants d’autres transferts auraient été également surfacturés. Dans l'enquête ouverte par la justice, Rolland Courbis, titulaire d’un compte dans une banque suisse, est soupçonné d’avoir bénéficié ainsi de compléments de rémunération. De fausses factures servaient enfin à sortir des fonds de la trésorerie pour échapper aux charges sociales et patronales. 

À l’OM, le rocambolesque n’est jamais loin : c’est le commissaire aux comptes du club, Jean Ayel, qui écrit au procureur de la république de Marseille pour dénoncer ces pratiques en novembre 1998. Le 8 décembre 1999, le parquet de Marseille ouvre une information judiciaire contre X sur les comptes de l’OM pour « faux, usage de faux en écritures, abus de biens sociaux et recel ». 32 contrats de joueurs recrutés entre 1997 et 1999 sont examinés (parmi lesquels, Christophe Dugarry, l’Italien Fabrizio Ravanelli, le Ghanéen Arthur Moses, William Gallas, Claude Makélélé, Ivan De La Peña, etc). Des perquisitions sont menées au club en décembre 1999 (120 dossiers sont saisis). Des commissions rogatoires internationales sont lancées au Paraguay, en Suisse, en Argentine (des joueurs de ces pays ont signé à Marseille lors de cette période). Le club, par l’intermédiaire de son directeur général d'alors Etienne Ceccaldi, ancien magistrat en poste à la tête de l’OM depuis la fin de l’année 2001, se porte partie civile et affirme vouloir rompre avec les pratiques passées. Ce dernier déclare notamment : « [...] Je suis ici comme gestionnaire, mais la succession d’articles mêlant le club à la justice m’amène à dire ceci. Il est fait un certain nombre d’amalgames entre la période actuelle et ce qui s’est passé avant mon arrivée [...]. Sur toutes ces affaires, je suis serein, je ne suis pas tourné vers le passé, je vise l’avenir » (L’Équipe, 7 février 2002, p 6).  

En 2002, les premières mises en examen sont prononcées à l’encontre de l’ancien entraîneur Rolland Courbis, des agents de joueurs Gilbert Sau et Hervé Goursat, de l’intermédiaire Bernard Almeiras et de Jean-Michel Roussier (président délégué de l’OM jusqu’en avril 1999). En 2003, Yves Marchand, son successeur entre juin 1999 et novembre 2000, est à son tour mis en examen. En juin 2004, c'est l'actionnaire principal, Robert Louis-Dreyfus, qui est mis en examen pour abus de biens sociaux.

Le procès s’ouvre le 13 mars 2006 devant le tribunal correctionnel de Marseille en présence des 14 inculpés. Le procureur de la République de Marseille, à l’occasion d’une conférence de presse, indique que le ministère public tiendra compte dans ses réquisitions de la «spécificité de l’OM», autrement dit du statut symbolique du club dans la ville. Les condamnations, prononcées en juin 2006, sont pourtant lourdes : Rolland Courbis est condamné à trois ans et demi de prison ferme, 375 000 euros d'amende et l'interdiction d'exercer une activité professionnelle dans le football pendant cinq ans tandis que Robert Louis-Dreyfus écope de trois ans de prison avec sursis et de la même amende (plusieurs agents de joueurs et d’anciens dirigeants du club écopent de peines tout aussi exemplaires, seul Marcel Dib est relaxé). Il y aura un procès en appel à la cour d'Aix-en-Provence en octobre 2007 dont le verdict alourdit certes la peine de prison ferme pour un des prévenus (un agent) mais réduit les sanctions contre Rolland Courbis (deux ans de prison ferme et 200 000 euros d'amende) et Robert Louis-Dreyfus (10 mois avec sursis et une amende identique). Ces deux derniers intentent malgré tout un pourvoi en cassation que la Cour de Paris rejette un an plus tard : l'ex-entraîneur de l'OM est interpellé et  incarceré.  

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Bref, la justice française a déjà démontré l'existence des rétrocommissions dans le football. Ces faits sont connus, notamment à l'OM donc, mais il serait malgré tout particulièrement réducteur d'attribuer ce genre de pratiques au "contexte marseillais". À ce titre, la toute récente lettre rédigée par un animateur de télévision à l'attention de l'épouse de feu Robert Louis-Dreyfus l'invitant à se désengager du club serait simplement risible si elle n'enfilait pas les clichés sur Marseille : "Parce qu'au-delà du foot, sur lequel les beaux esprits se déchaînent, c'est d'abord, me semble-t-il, un problème marseillais. Marseille où le racket existe. Marseille où le grand banditisme sévit. Marseille gangrénée au quotidien par ses règlements de comptes, sa violence ou sa pègre locale". Ou comment faire d'un système une spécificité marseillaise alors même que de telles pratiques existent dans le monde du football bien ailleurs qu'autour de l'Olympique de Marseille (en France et à l'étranger). Les journalistes qui font correctement leur travail le savent parfaitement. Parmi ceux-là, il y a Denis Robert. Il est l'auteur d'un ouvrage paru en 2006 aux éditions Les Arènes : Le milieu du terrain (couverture ci-contre). Il est possible de relire l'interview accordée aux Cahiers du football à l'époque de la sortie du livre : http://www.cahiersdufootball.net/article-le-credit-du-football-est-en-passe-d-etre-dilapide-2141. 

Messieurs les dirigeants ou ex-dirigeants du football, si vous ne saviez pas quoi inscrire sur votre liste au père Noël...

Crédit photo (Rolland Courbis) : France TV Info/AFP/Michel Gangne

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