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Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
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15 avril 2014

Stade de Hillsborough, 15 avril 1989

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Aujourd'hui, ce sont les 25 ans du drame de Hillsborough, du nom du stade de Sheffield dans lequel 96 supporters de Liverpool ont trouvé la mort, écrasés par la foule, lors d'une demi-finale de cup face à Nottingham Forest. Dans la presse française, plusieurs articles récents évoquent cet événement qui a changé la face du football anglais. Il y a d'abord eu un article de Rue 89 pour lequel Patrick Mignon et Nicolas Hourcade ont été interviewés ("Hillsborough, 25 ans de ménage dans les stades anglais"). Il y a eu un papier sur le site de So Foot, repris d'un article qui avait été consacré à la catastrophe dans le numéro spécial "Supporters" paru à l'hiver 2012 ("Hillsborough, la colline a des yeux"). Il y a un article paru sur le site d'Eurosport signé par Philippe Auclair, alors journaliste à la BBC et qui livre ses souvenirs de ce jour terrible ("25 ans après, ne jamais oublier la tragédie d'Hillsborough et ses 96 victimes"). Il y a enfin un article paru sur RFI et pour lequel j'ai été interviewé ("Drame de Hillsborough : 25 ans d'émotion et de combats").

Libération avait aussi consacré plusieurs papiers à cette tragédie en septembre 2012, au moment de la publication d'un important rapport émanant d'une commission indépendante (installée en 2009) qui pointait la responsabilité accablante des forces de l'ordre. Les conclusions du rapport (de 450 000 pages !) avaient été extrêmement relayées dans la presse anglaise, entraînant les excuses officielles du premier ministre britannique David Cameron auprès des familles des victimes et celles du Sun, le tabloïd qui avait titré "The Truth" après la catastrophe, mettant gravement en cause le comportement des supporters de Liverpool sur la foi du seul témoignage d'un policier. Lire ici et . Lire aussi l'article de So Foot : "Pourquoi The Sun est boycotté à Liverpool depuis Hillsborough".

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S'il n'est pas un drame du hooliganisme, Hillsborough illustre parfaitement que la manière d'envisager le public et de concevoir les supporters, d'un côté, et la sécurisation des enceintes sportives, de l'autre, sont des questions liées. En effet, la focalisation des autorités sportives et publiques anglaises sur le contrôle des hooligans influence très fortement la conception des stades et la considération faite au public. Durant les années 1970 et 1980, les enceintes sportives sont aménagées selon des principes quasi carcéraux. Grillages et barrières enferment les supporters dans les travées tout en empêchant (ou du moins compliquant) l'assaut des tribunes adverses et les envahissements de terrain, deux pratiques répandues alors en Angleterre. Les opérations policières de type "militaire", dans les stades ou à leurs abords, sont par ailleurs censées dissuader les fauteurs de trouble de passer à l'acte. 

Cette gestion s'avère cependant désastreuse et conduit à des catastrophes directement liées à la vestusté des enceintes, au principe de clôture des tribunes, à la sacralisation de l'aire de jeu et à l'absence de réflexion sur le public. Le drame du Heysel est lié à ces aspects. Le 29 mai 1985, jour de finale de la Coupe d'Europe des clubs champions opposant à Bruxelles le Liverpool FC à la Juventus Turin, les fans anglais envahissent les gradins occupés par des tifosi italiens provoquant un mouvement de panique. Si elle est bien à l'origine du drame, l'action des hooligans anglais s'avère d'autant plus dangereuse que la conception spatiale et architecturale du stade empêche les supporters italiens d'échapper à leurs agresseurs en sortant de la tribune, tout comme elle prive les forces de l'ordre des moyens d'y intervenir rapidement. Bilan : 39 personnes décèdent par étouffement et piétinement devant des millions de téléspectateurs. À Bradford, en 1985, un incendie accidentel (déclenché par un mégot de cigarette lancé dans une zone où s'amassent des détritus depuis des semaines) se déclare dans des tribunes en bois délabrées du stade, occasionnant la mort de 56 personnes. Bon nombre d'entre elles périrent en cherchant à se sauver par les escaliers d'accès à la tribune mais elles trouvèrent les portes cadenassées et se retrouvèrent ainsi prises au piège. On les avait enfermées tels des animaux (voir la vidéo). Quelques années plus tard, en avril 1989, survient donc Hillsborough. Les premières analyses en font un drame du hooliganisme. Mais le rapport officiel qui est commandé dans la foulée (le rapport Taylor) oriente vers une autre interprétation. Les causes du drame tiennent aux effets combinés des erreurs de gestion de la foule et de l’état lamentable des infrastructures, fruits de l’indifférence généralisée quant aux conditions d’accueil offertes aux spectateurs, indistinctement associés aux hooligans.

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Les Anglais s’engagent alors dans la refonte de leur politique de sécurité. Les comportements des supporters violents sont visés. Application stricte de la loi et condamnations immédiates deviennent la règle. La très grande fermeté des autorités anglaises à l'égard du hooliganisme est couplée à la mise en place d'un système national d’affiliation n’autorisant les propriétaires de stades à accueillir le public que sous réserve de l’obtention d’un agrément. Au centre du système se trouve la Football Licensing Authority, organisme qui édite un guide national de la sécurité et qui s’assure, au moyen d’inspections, que clubs et municipalités respectent les consignes. Toutefois, les préconisations du rapport Taylor, reprises dans le Football Offences Act de 1991, accordent aussi une place très importante à l’amélioration des conditions d’accueil à l’intérieur des stades qui passe par leur rénovation en profondeur (les grilles sont ôtées, les places assises généralisées, des systèmes de télésurveillance installés). Infléchissant la manière de concevoir le supporter (on l'envisage dès lors comme un consommateur de spectacle) tout en affichant une détermination à l’égard des éléments violents, ce rapport ouvre la voie à une large entreprise de modernisation du football anglais dont l'une des conséquences tient à une hausse vertigineuse du prix des places (voir le Livre vert du supportérisme, p. 63-64).

Quant à la France, elle affronte ces problématiques un peu plus tardivement. En 1992, une tribune temporaire installée à Furiani s'effondre (18 décès, 1 300 blessés). En 1993, plusieurs incidents fortement médiatisés surviennent en marge de matchs du PSG. La sécurisation des enceintes sportives et la répression des comportements violents des supporters sont les deux piliers de la politique française qui se matérialise par la loi "Bredin" du 13 juillet 1992 et la loi "Alliot-Marie" du 6 décembre 1993. 

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