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Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
22 mars 2013

Marseille n'est pas qu'une ville de foot - épisode 5 : De la rue aux tribunes, la musique "made in Marseille"

Le supportérisme est un univers aux nombreuses ramifications culturelles, musicales notamment. Le Ska, musique rock rythmée provenant de Jamaïque dans les années 1950, y est particulièrement prisé. Qu’en est-il dans les travées du Stade vélodrome ? La musique « made in Marseille » se prolonge-t-elle au stade ? Le stade est-il un lieu d’expression culturelle ?

4103Les groupes de supporters organisent régulièrement des concerts de musique, soit au sein de leur local, soit lors d’événement exceptionnels directement au stade (comme lors des 20 ans des South Winners en 2007, avec un concert de Manu Chao, à voir ici : lien). Le monde musical des supporters de l’OM se compose de Jo Corbeau, chanteur de reggae (on dit qu’il serait l’inventeur du « reggae marseillais ») des années 1980 ayant notamment écrit une chanson à la gloire du club ("J'aime l'OM", à écouter ici : lien), des Fabulous Trobadors et de Bouducon Production, deux groupes toulousains mobilisés autour de la question occitane et contre la centralisation culturelle, d’IAM, Hypnotik, la Fonky Family, Psy 4 de la rime, autant de groupes de rap, de Troublemakers, Superfunk ou David Caretta pour la musique électronique. Mais de tous les groupes musicaux marseillais, Massilia Sound System tient une place particulière.

Ce groupe de raggamuffin créé en 1984 (à la même époque, par ailleurs, que les Ultras Marseille) tire son nom de l’association du nom grec de la ville de Marseille et d’une référence aux sonorisations ambulantes (les « sound system »). Massilia Sound System produit une musique « ensoleillée », mélangeant les références jamaïquaines et l’influence du hip hop à la culture occitane (le premier album paru en 1991 se nomme « Parla Patois »). L’aspect festif prononcé de la musique vient rythmer des textes engagés. Certaines chansons ne sont pas sans rappeler les joutes verbales, une tradition chère à la culture méditerranéenne. Implanté jusqu’en 1998 à Vitrolles, le groupe a déménagé ses studios suite à de nombreux conflits avec la mairie d’extrême droite pour aller s’installer à La Ciotat, la ville-symbole de l’industrie maritime marseillaise. Massilia Sound System connaît un grand retentissement dans l’univers des supporters marseillais (notamment les membres des nombreuses sections de « supporters à distance ») et fait l’objet d’un suivi très attentif. 

Les raisons de cet engouement pour Massilia Sound System puisent à trois sources. 

Il faut, tout d’abord, relever que le groupe ne rate jamais une occasion de clamer son amour du football et de l’OM. « Toujours à fond pour le ballon », selon les paroles d’une chanson, Massilia Sound System est « né au milieu des Ultras, dans le virage sud du stade vélodrome, ainsi que le rappelle Jean-Claude Izzo. Le groupe avait filé la fièvre ragga hip hop aux supporters de l’OM, puis à la ville », poursuit-il (Total Khéops, Paris, Gallimard, 1995, p 95). Le chanteur du groupe, Lux B, déclarait : « Le stade, tu peux être libre, chanter, habillé comme tu veux, vieux ou jeune, comptable, chômeur, le plombier, l’étudiant… On va tous se retrouver. C’est le dernier endroit folklorique. C’est le dernier endroit où toute la communauté marseillaise de toutes les religions, de toutes les races, de toutes les générations, se retrouve au stade et c’est là l’endroit où se créent encore Marseille et l’esprit marseillais »*. Le groupe entretient des liens étroits avec plusieurs associations de supporters de l’OM, dont les Ultras Marseille ou les Marseille Trop Puissant (les musiciens sont liés au bar de la Plaine, fréquenté par des membres de ce dernier groupe). Massilia Sound System a en outre constitué une équipe de football loisir : le Chourmo FC (le terme signifie « galérien » en occitan). L’association fédérait près de 1 000 adhérents dans les années 2000 (parmi lesquels seules 300 personnes résident à Marseille ou dans sa proche région). L’adhésion donne accès au statut de « membre à vie ». Le football est en réalité un prétexte pour mettre en place d’autres animations : événements culturels divers, constitution d’un journal, mais aussi lotos, soirées, kermesses, bals, repas de quartier, etc. 

CD1882_BIGPar ailleurs, Massilia Sound System raconte la ville de Marseille. « Ce soir, je t’emmène à Marseille. Bienvenu dans le pays du oaï [de la pagaille et, par extension, de l’enthousiasme marseillais] », proclame l’une des chansons. Le groupe chronique la vie sociale des quartiers, utilise à l’envi le « parler marseillais », traite des problèmes de la cité (par des textes sur le Front national, l’immigration, le chômage ou les projets de la municipalité). Plusieurs chansons rendent hommage aux travailleurs, aux paysans, aux cols bleus et à la classe ouvrière. Le groupe se pose comme le défenseur des cultures locales, d’un mode de vie populaire et du patrimoine industriel et maritime de Marseille, critiquant notamment les plans qui visent à faire de la ville un prolongement de la côte d’Azur où se côtoieraient casino, boutiques, promenades, palmiers et pédalos (« Ici c’est pas la Riviera ni la Costa Brava », clame le groupe, en apostrophant Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille). De plus, la volonté d’une culture démocratique, décentralisée et du dépassement de l’opposition entre Paris, siège d’une élite, et la province, lieu des citoyens et de la culture de seconde zone, est l’un des thèmes favoris du groupe. Massilia Sound System se veut l’adversaire du centralisme (La chanson « Commando Fada », qui fait un clin d’œil au Commando Ultra, l’autre nom des Ultras Marseille, proclame en ouverture : « Une Nation qui refusait les langues, les cultures, bref les identités vivant sur son territoire se condamnait elle-même. Elle trahissait des idéaux d’humanité qu’elle inscrivait aux frontons de ses monuments ») et regrette que la vision de Marseille passe trop souvent par le « filtre parisien ». La chanson intitulée « Refusez la pression » critique ainsi les médias qui font l’opinion sur Marseille. Les paroles ici : lien

Évoquant la vie vue de Marseille, les chansons de Massilia Sound System apparaissent donc (notamment pour les supporters à distance) comme une initiation idéale à la vie marseillaise, ses chroniques, son histoire et sa culture.

Le groupe défend, enfin, une conception singulière de l’appartenance à Marseille (qui touche particulièrement les membres des sections de supporters à distance). Massilia Sound System est fier de ses origines. Les musiciens rappellent que leur musique est fabriquée à Marseille. En 1991, ils vantent la création d’un Parti indépendantiste internationaliste marseillais, à l’occasion de la parution de leur premier album. De nombreuses références sont faites à Vincent Scotto et Marcel Pagnol (dans une chanson, le groupe a samplé la célèbre réplique « Tu me fends le cœur » prononcée par Raimu dans le film César)… Mais cette revendication de l’identité marseillaise transcende les limitations territoriales car elle va de pair avec une position d’ouverture vis-à-vis de l’extérieur. Les paroles d’une chanson illustrent cette attitude : « Oh ! Cousin, je te le demande : qu’est-ce que c’est d’être Marseillais ? 2600 ans de culture et peu importe tes papiers […]. Non ! L’identité n’est pas inscrite sur les papiers, être Marseillais, c’est vouloir être Marseillais, quel que soit l’endroit ou le pays où tu es né ». Le slogan de l’album « Occitanista », paru en 2002, proclame : « On n’est pas le produit d’un sol, on est le produit de l’action qu’on y mène ».

Musique, football, stade, supportérisme, fête : ce sont les croisements qui sont intéressants. La résonnance d’un groupe musical dans l’univers des passionnés d’un club, quel qu’il soit, peut ainsi s'expliquer par les questions du SENS et du LIEN SOCIAL, deux thématiques fondamentales dans le monde du sport. Suivre une équipe, se passionner pour un club, ce n'est pas assister à un divertissement, c'est bien autre chose. Nous reviendrons sur ces aspects dans un prochain billet. 

En bonus, la chanson « Dimanche aux Goudes » (je donnerais cher pour y passer le prochain dimanche…) :

* Propos extraits du documentaire Mon Marseille à moi, produit en 2004 par la chaîne Planète, à l’occasion d’une semaine consacrée à la ville de Marseille.

Aller plus loin

Voir le documentaire de Philippe Carrese, daté de 2002, consacré au groupe : Massilia ? Trop Puissant ! http://www.comicstripproduction.fr/massilia-trop-puissant-.html?PHPSESSID=0471ba2911debf387cbbd28e65894bd2

À l'occasion des 20 ans du groupe, les South Winners ont produit une compilation sortie en 2009 : http://musique.fnac.com/a2619774/Zephir-South-winners-1987-2007-CD-album

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Commentaires
L
Merci pour votre passage sur le blog et pour ce commentaire ! J'ai vérifié, vous avez raison ! La chanson a été écrite en 93, époque Vigouroux donc... Gaudin ayant été élu en 95 seulement. Merci donc pour cette remarque et pour votre lecture fort attentive.
J
Excellent article, trop rare, sur Massilia Sound System ! Il me semble qu'ils s'en prennent à Vigouroux plutôt qu'à Gaudin ds la chanson "Qu'elle est bleue"...
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