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Invitation à la sociologie (du sport) : le blog de Ludovic Lestrelin
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17 avril 2011

Stades : ni défouloirs ni lieux de contrôle, par Nicolas Hourcade

Nicolas Hourcade, sociologue et coauteur du Livre vert du supportérisme remis en octobre 2010 au Sécrétariat d'Etat aux sports a rédigé une tribune pour L'Humanité, parue le 7 avril. Je la reproduis ci-dessous. Pour la lire directement sur le site de L'Humanité.fr, c'est ici

humanite2010_logoViolence dans les Stades : une autre politique de gestion des supporters est-elle possible ?

Ni défouloirs ni lieux de contrôle

Par Nicolas Hourcade, sociologue et coauteur du Livre vert du supportérisme.

La mort, la saison dernière, de deux supporters de football français a marqué un tournant dans la lutte contre le hooliganisme : renforcement des dispositifs policiers et législatifs, augmentation significative des sanctions et coordination accrue entre pouvoirs sportifs et publics. S'il est appréciable que les violences et les discriminations autour du football soient désormais traitées de manière plus ferme et constante, il convient de s'interroger sur les méthodes et les conséquences de cette politique qui met en avant la tolérance zéro, privilégie les mesures administratives par rapport aux judiciaires et néglige la prévention sociale. Certains supporters, comme le millier qui a manifesté dans Paris dimanche 13 mars, prétendent que cette politique ne se contente pas de s'attaquer aux hooligans mais s'en prend à tous les supporters contestataires et que leurs « libertés de citoyens sont bafouées », et qu'elles vont l'être encore plus avec l'adoption de la Loppsi 2.

Mesure phare, les interdictions de stade sont efficaces (même si certaines violences, jusque-là centrées sur le stade, se déplacent) mais problématiques. Celles prononcées par la justice, d'une durée maximale de cinq ans, sont bien encadrées. En revanche, les interdictions administratives peuvent être décidées par le préfet à l'encontre de supporters constituant une « menace pour l'ordre public ». Limitées à trois mois lors de leur création, en 2006, pour réduire le risque d'arbitraire, elles ont été portées à un an, voire deux, en cas de récidive. Or, les faits reprochés aux supporters sont de nature et de gravité fort diverses. Cependant, un amalgame est établi entre eux car ils sont tous rattachés à la catégorie sociale de hooliganisme. Dès lors, des supporters subissent une interdiction de stade (ce qui les oblige à pointer au commissariat à chaque match) pour état d'ébriété, usage de stupéfiants, allumage festif de fumigènes ou contestation de la politique de leur club.

La Loppsi 2 facilite également l'interdiction de déplacement des supporters et la restriction de leur liberté d'aller et venir. Bien que les parlementaires de l'opposition aient estimé que ce dispositif « va bien au-delà de ce que peut justifier la préservation de l'ordre public » et qu'il « porte en lui des risques trop importants pour les libertés individuelles », il a été validé par le Conseil constitutionnel. Du fait de la stigmatisation des hooligans et, au-delà, des supporters, la répression à leur égard paraît forcément légitime et suscite peu de débats politiques. Il n'est donc pas absurde de penser que leur sort n'a pas été considéré comme un enjeu suffisant pour justifier une censure du projet gouvernemental.

En outre, la politique actuelle a des conséquences sur l'ambiance des stades. En cherchant à écarter les hooligans, le Paris Saint-Germain s'est aussi coupé d'une part importante de son public. Plus largement, les supporters ont un rôle ambigu dans le monde du football : ils sont considérés comme l'indispensable douzième homme, mais certains dirigeants veulent encadrer étroitement leur expression et les instances sportives nationales sont réticentes à les reconnaître comme des acteurs. Si les stades ne doivent pas être des défouloirs où tout excès est toléré, ils ne doivent pas non plus être des lieux de contrôle autoritaire des publics.

Cette conciliation délicate entre sécurité, libertés et ambiance festive prouve la nécessité d'ouvrir le débat sur ces sujets et de les traiter de manière globale. Une autre politique de gestion des supporters est possible, alliant répression proportionnelle à la gravité des faits, dialogue avec les associations de supporters responsables et prévention sociale. Associant tous les acteurs concernés, elle ferait de la place du spectacle sportif dans la société un véritable enjeu politique.

 

Nicolas Hourcade

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