Comment j'ai publié ma thèse : l'envers du décor (1)
Le 25 novembre 2010 a donc vu la parution de mon premier ouvrage aux éditions EHESS (billet publié sur ce blog ici, chronique sur So foot.com ici). J'en suis heureux. Parmi les questions que l'on me pose régulièrement, il y a : "comment est-ce que t'est venue l'idée de travailler sur les supporters de l'OM hors de Marseille ?" et aussi : "comment as-tu fait pour accéder à cette maison d'édition ?". Je me propose de répondre à ces deux questions. Cela se fera en deux parties. Aujourd'hui donc, la première question.
1. Comment m'est venue l'idée de travailler sur les "supporters à distance" de l'OM
Pour comprendre le cheminement qui m'a amené à travailler sur le supportérisme à distance, il faut revenir, tout d'abord, dans le courant des années 1990. Première étape, donc, mes années d'étudiant à l'université de Rouen et la découverte de travaux sur le football traité par le prisme des sciences sociales.
Mes années d'étudiant et la rencontre avec les travaux de sciences sociales sur l'objet football
Depuis 1996, étudiant en Deug à la faculté des sciences du sport de l'université de Rouen, je suivais des cours de sciences sociales qui m'intéressaient particulièrement. Parmi les travaux recommandés par Catherine Louveau dans son cours de sociologie (elle était alors maître de conférences, elle partira quelques temps plus tard à Paris Sud XI pour occuper un poste de Professeur des universités) figurait, entre autres, l'ouvrage de Christian Bromberger, Le match de football, paru en 1995 aux éditions de la Maison des sciences de l'homme. Actualité footballistique oblige (la France organise la coupe du monde de football, faut-il le rappeler), l'année 1998 voit aussi la parution de plusieurs numéros spéciaux de revues et magazines (je me souviens d'un numéro du Monde diplomatique entièrement consacré au football cette année-là) et de quelques ouvrages (par exemple : Patrick Mignon, La passion du football, Paris, Odile Jacob). La lecture de ces divers travaux a été importante : outre que lire les ouvrages conseillés en cours s'inscrivait dans mon "rôle" d'étudiant (construction d'une culture générale, approfondissement des enseignements), je me suis alors rendu compte que l'on pouvait faire des sciences sociales en prenant pour objet le football, alors même que j'étais pratiquant de ce sport depuis ma plus tendre enfance.
Un premier travail de recherche
Après avoir obtenu mon Deug puis ma Licence, je me suis inscrit en maîtrise Staps à l'automne 1999. A cette époque, l'année de maîtrise passait obligatoirement par la rédaction d'un mémoire de recherche, d'une certaine ambition : un travail de longue haleine, qui suivait les étudiants pendant toute une année. Ayant donc lu des travaux sur le football, par ailleurs intéressé par les sciences sociales, je me suis mis en tête de travailler aussi sur ce sujet. Mais par quel bout le prendre ? Cherchant un angle d'attaque, j'en suis alors venu à faire le choix de travailler sur la tricherie constatée sur les terrains (simulations, pénaltys litigieux, buts de la main) et sa réception par les amateurs de football. Après avoir un peu tardé pour arrêter mon sujet, je n'avais plus vraiment le choix de mon directeur : je venais certes de faire la rencontre de Jean-Charles Basson qui animait un cours de méthodologie des sciences sociales en maîtrise. Mais c'est avec Valérie Cohen-Scali, psychosociologue (aujourd'hui Professeur des universités en sciences de l'éducation à l'université de Caen Basse-Normandie, nous sommes donc collègues !) que j'ai effectué mes premiers pas d'apprenti chercheur... Et c'est au cours de mon travail exploratoire que j'ai découvert l'existence d'un groupe d'inconditionnels de l'OM résidant à Rouen, au hasard de mes premiers surfs sur un tout nouvel espace d'information pour l'étudiant que j'étais : Internet. Organisés selon un modèle associatif (sans pour autant en avoir le statut, à l'époque), ils se déplaçaient régulièrement dans les stades pour assister aux rencontres de leur équipe favorite aux côtés des supporters locaux. Pour le compte de ce mémoire de maîtrise, j'ai réalisé plusieurs entretiens, dont un avec le responsable de ce groupe sans pour autant me focaliser sur celui-ci.
Après cette première expérience de recherche qui s'est avérée finalement concluante, je me suis inscrit dans le DEA "Grand Ouest" (Paris X, Paris XI, Rouen, Caen, Orléans) dans l'option "cultures sportives", poussé par les conseils de Jean-Charles Basson, ce dernier me proposant de travailler avec lui. C'est ici que le travail sur le supportérisme à distance commence véritablement. Soutenu en septembre 2001, le mémoire de DEA, nommé "Habiter Rouen et supporter l'Olympique de Marseille. Une approche sociologique du supportérisme à distance" est, en effet, entièrement tourné vers la définition de la notion de "supportérisme à distance".
Découvrir une réalité puis tirer sur le fil de la pelote
Pratiquant de football depuis l'âge de six ans, je disposais d'une connaissance peu poussée de l'univers social des supporters quand je me suis intéressé à eux lors de mon mémoire de maîtrise. Je l'ai dit, c'est à cette occasion que j'ai découvert l'existence de la "section de Rouen des Ultras Marseille". J'avais auparavant croisé de nombreux individus passionnés par une équipe très éloignée de leur lieu de résidence. Moi-même, j'avais, au cours de mon adolescence, manifesté de l'intérêt pour le club marseillais, en plein succès au début des années 1990. Mais je ne connaissais pas l'existence de tels groupes. Tirant, lors du début de mon année de DEA, un peu plus sur "le fil de la pelote", je découvrais alors l'ampleur et la complexité de cette réalité : de très nombreux groupes de supporters étaient situés en dehors du territoire d'implantation du club suivi. L'affranchissement des "barrières territoriales" constituait une donnée importante dans la réalité contemporaine du monde des supporters, en France comme dans bien d'autres pays européens. Plus de 200 groupes de supporters de l'AS Saint-Etienne en France et à l'étranger ; plus de 1 400 groupes soutenant le FC Barcelone ; plus de 2 600 pour le FC Bayern Munich., etc. J'ai choisi, avec Jean-Charles Basson, de donner un nom à cette réalité : le terme de "supportérisme à distance" était né...
Un projet intellectuel
Ce fait a alors retenu mon attention car cela posait de nombreuses questions auxquelles les sciences sociales et en particulier la sociologie pouvaient apporter des réponses.
Le football est tout d'abord un sport très territorialisé, et ce depuis ses origines. Rapidement, les équipes se sont trouvées attachées à un territoire relativement circonscrit, qu'elles expriment au travers des compétitions dans lesquelles elles se trouvent engagées. Historiquement, le football participe à la définition et à l'affirmation des identités locales. Il sublime les enjeux territoriaux et les stades sont progressivement devenus des lieux de représentation et de gestion de ces conflits.
Le travail ethnologique mené par Christian Bromberger, déjà cité, développe par ailleurs un schéma explicatif de l'effervescence collective pour ce sport qui conjugue l'attachement à une équipe de football et l'appartenance à un territoire. La littérature sociologique explique, en outre, que l'émergence, lors des années 1980 en France, des groupes de supporters radicaux dénommés ultras, doit être appréhendée comme une manifestation, parmi d'autres, d'autonomisation juvénile autour des revendications montantes d'appartenance régionale ou locale. Ces groupes se posent, en effet, comme les représentants légitimes des valeurs identitaires emblématiques d'un territoire : "Fiers d'être Marseillais, Lensois, Parisien", entend-on à l'envi, dans les stades.
La réalité soulevait ainsi la question des appartenances territoriales, qui constitue une controverse scientifique importante au sein des sciences sociales, et par là même la question de la construction des collectifs dans le monde contemporain. Historiquement fixés, les rapports entre les hommes et les espaces sont en train de se redéfinir. De nombreux travaux mettent en avant l'essor des sensibilités régionalistes et le retour vers les repères territoriaux à l'heure de la fin supposée des grandes idéologies. Le goût actuel pour le patrimoine ou les traditions en est une manifestation. D'autres, au contraire, mettent l'accent sur la mise en réseau du monde à l'heure de la globalisation, des nouvelles technologies, d'Internet, de l'amplification des échanges, qu'ils soient commerciaux ou culturels. Les rapports semblent tout aussi problématiques dans l'espace du football. Que signifie, en effet, le fait que de nombreux individus choisissent, aujourd'hui, de se lier à un club éloigné de leur lieu de résidence ? Que signifie le fait de se sentir lié à d'autres hommes sans pour autant partager le même espace ?
Conclusion
Paradoxalement, la question des supporters "transterritoriaux" demeurait sociologiquement mal cernée. Si les partisans de football avait fait l'objet de riches travaux, on ne disposait que de peu d'éléments relatifs à ce phénomène. Celui-ci est vite apparu comme "l'angle mort" des recherches en sociales sur les partisans de football. Penser la mise à distance des contingences territoriales et des expériences locales est apparu d'autant plus important pour saisir cet "autre public", mieux comprendre le supportérisme et, dans le même mouvement, questionner de larges évolutions contemporaines (rapport au territoire, construction identitaire, construction de collectifs).
Décentration du regard, choix d'une option inédite, renouvellement des cadres de pensée sur le public du football, ouverture disciplinaire (vers la géographie, l'histoire, l'économie, la science politique, l'ethnologie), voire interdisciplinarité (via la circulation de concepts : territoire, centre-périphérie, etc.) : tel était donc le projet. Cela a fait l'objet d'une thèse menée entre 2001 et 2006 sous la codirection de Jacques Defrance et de Jean-Charles Basson.
2. Comment j'ai fait pour publier ma thèse
Voir le prochain billet sur le blog... d'ici quelques jours.